Interview d'Anne Maître par Christine Demeillers
Interview du Pr Anne Maître
La réalisation dont tu es la plus fière
Avoir créé le laboratoire hospitalier de « Toxicologie Professionnelle et Environnementale » parallèlement à l’équipe universitaire « Environnement et Prédiction en Santé des Populations ». Et surtout avoir trouvé deux jeunes successeurs « qui me ressemblent » c’est-à-dire qui travaillent dans un même esprit de petite famille où on ose se dire les choses, et qui sont soucieux de créer un univers dans lequel on est heureux d’aller travailler. Ça me fait vraiment plaisir.
La plus grande difficulté que tu as rencontrée dans ta carrière
Chercher des sous, des contrats, ça m’a pourri la vie !
Dès le début de ma carrière, il a fallu que je cherche de l’argent pour des salaires pour pouvoir développer le laboratoire car l’équipe au départ n’était même pas équipe d’accueil. Tout était à faire, c’était le seul moyen de développer la recherche en santé-travail. Et cette recherche d’argent perpétuelle prend du temps sur la réflexion scientifique, la conduite des travaux, la concentration. On manque ensuite de temps pour approfondir ce que l’on a vraiment envie de faire.
Parmi toutes les fonctions que tu as exercées, laquelle as-tu préféré ?
Le Conseil National des Universités. Cela permet de relativiser tes problèmes, cela m’a donné confiance. J’ai ainsi pu aider des femmes qui manquaient de confiance en elle en leur donnant des conseils sur leur carrière car ce n’est vraiment pas facile d’être une femme en médecine.
Parmi toutes les fonctions que tu as exercées, dans laquelle t’es-tu sentie la plus utile ?
L’enseignement. J’ai beaucoup donné pour transmettre et faire la « morale » aux étudiants sur cette grande question « Mais qu’est-ce que vous voulez faire de votre vie ? ».
Un message que tu souhaites adresser aux femmes dans nos carrières
Il faut croire en vous, oser parler, s’exprimer. Vous êtes aussi compétentes que les autres. Il faut croire en l’égalité, et ne pas accepter de croire qu’on a réussi seulement parce qu’on est une femme. Il faut se construire sur la science, la rigueur. On a les mêmes armes que les hommes et on nous fait croire que nous n’avons pas les mêmes. Non, en tant que femme, nous ne sommes pas tenues de servir le café ou d’écouter des réflexions parfois déplacées … j’ai parfois usé de provocation pour faire passer certains messages.
Un message à adresser aux jeunes qui hésiteraient à faire une carrière universitaire ou hospitalo-universitaire ?
Avant tout, il faut avoir un rêve, un idéal, le travail ne doit pas être qu’une contrainte. 40 ans, c’est long !
Pour ce type de carrière, il faut faire des petits pas, y aller progressivement, ne pas vouloir atteindre le sommet trop vite, se donner les moyens. On ne peut pas arriver sans peine. Il faut croire en soi, être marathonien, plutôt que sprinteur. Il faut aussi être conscient que pour atteindre le sommet, il faut être plusieurs, être bien accompagné. Mal accompagné, on ne fait rien. C’est parfois difficile dans ce monde d’individualisme forcené. Les seniors doivent être là pour accompagner les plus jeunes avec bienveillance, les aider sans les opprimer. Il faut arriver à garder l’envie pour ces longues carrières, se faire plaisir, tenter des choses, ne pas croire que tout va venir des autres car on est seul à décider. Il faut rester honnête avec soi-même pour être fier de soi. Je dirai aussi que pour faire ce métier, il faut bien sur parler anglais et être ouvert aux autres.
Un message à adresser aux seniors qui voient reculer l’âge de la retraite ?
Prenez le temps. La vie est longue. Pour y croire jusqu’au bout, il faut garder le plaisir, se garder du temps pour faire de la science, les choses que l’on aime plus particulièrement et il faut prendre le temps de se poser. Sinon, on court et on n’est pas satisfait de soi-même. Il faut faire attention aussi de ne pas se laisser « bouffer » par les autres. En vieillissant, il faut savoir se protéger.
Un message à adresser aux pouvoirs publis ?
Au ministère de la recherche :
Je pense qu’il faudrait refondre les équipes des recherches. Les différents instituts (CNRS, INSERM, CEA, INRA) se retrouvent concurrent mais ils n’ont pas les mêmes armes. Il faudrait un autre système, des tutelles différentes, des moyens financiers différents, des modes de gestion différents, il faudrait tout revoir.
Je pense qu’il faudrait laisser plus de choix aux enseignants-chercheurs par rapport à l’enseignement et la recherche. On ne peut pas tout faire au top. Il serait également pertinent de mettre des objectifs à 5, 7 ou 10 ans et choisir de privilégier la recherche ou l’enseignement en fonction des périodes. Il faudrait valoriser davantage toutes les responsabilités administratives des enseignants-chercheurs.
Concernant les chefs d’équipe : il faudrait les aider plus, les former mieux, les soulager des tâches administratives et financières.
Je pense qu’il faudrait aussi des dotations fixes, afin que nous puissions jouer à arme égale les uns avec les autres. Nous ne devrions pas être concurrents dans ce petit pays qu’est la France. Nous n’avons pas les moyens d’être concurrent car nous sommes peu nombreux.
Je pense aussi qu’il faudrait payer davantage les enseignants-chercheurs, les accompagner davantage, avec exigence, former ceux qui ont plus de difficultés avec l’enseignement, les aider à s’améliorer parfois.
Aux gestionnaires du risque :
Il faudrait mieux soutenir (financièrement) les équipes impliquées au long cours (10 ans…) pour éviter la perte de temps lié à la recherche de financement. Il faudrait soutenir un axe sur la durée, éviter de donner au coup par coup.
4 mots clés pour résumer ta carrière
Fière
Femme
Marathonienne
Humaine
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